« Tous les Hommes désirent naturellement savoir. » Ainsi, Aristote posait déjà le problème d’un rapport à l’information dicté par le désir et les sensations. Près de 24 siècles plus tard, un français sur deux avoue scroller à l’infini sur les réseaux sociaux dans ce que la dernière étude de la Fondation Jean Jaurès qualifie de « foire aux émotions », oscillant entre le burn out informationnel d’une part et son remède, « l’exode informationnel » d’autre part. Ce n’est donc pas un hasard si le terme Brain Rot a été élu mot de l’année 2024 par l’université d’Oxford. Résultant d’une surconsommation de contenu, cette détérioration de l’état mental ou intellectuel des individus pourrait bien devenir le mal du siècle.
Désinformation et ignorance
La surabondance d’information, et ses dérives comme la désinformation ou la mésinformation, sature la capacité de traitement des individus, générant un sentiment d’épuisement et une « sensation angoissante de ne plus rien comprendre. » À cela s’ajoute l’aveu d’impuissance, puisque l’étude précitée révèle que 53% des français ne savent pas distinguer une fausse information d’une vraie. Pour l’heure, ils sont déjà un quart de « détachés » à avoir tourné le dos à l’information en choisissant l’ignorance volontaire, lorsqu’ils ne se sont pas auparavant réfugiés dans des bulles informationnelles plus rassurantes sur les réseaux sociaux. Emboîtant le pas d’Elon Musk, Mark Zuckerberg a annoncé la fin de la modération et du fact checking sur les plateformes de Meta. Au nom d’une approche algorithmique - et sans doute politique - de la liberté d’expression, la crédulité de l’opinion prend encore un peu plus le pas sur la véracité de l’information. Dans un contexte d’affrontements hybrides, dont la guerre informationnelle s’intensifie, ce rapport distendu à l’information alimente une guerre plus insidieuse : la guerre cognitive.
Repenser le rapport à l’information
Le cerveau est le champ de bataille du 21ème siècle. Dans un rapport de 2021, François Du Cluzel, chercheur à l’OTAN alertait déjà des enjeux de guerre cognitive : « Ce n’est pas seulement une action contre ce que nous pensons, mais aussi une action contre la façon dont nous traitons l’information et la transformons en connaissance. » Au-delà du fact-checking et de la réinformation, c’est tout notre rapport à l’information qui doit être repensé. Son impact psychologique sur la population civile en fait un enjeu de santé publique. Plus encore, c’est un enjeu de défense nationale au regard de la propension à fragmenter la société en semant la dissonance et les récits contradictoires, polarisant l’opinion et radicalisant les communautés.
Face à l’obésité informationnelle, un régime s’impose. À l’instar de l’IMC, un indice de masse informationnelle pourrait ainsi aider chacun à se fixer un objectif en matière de besoin en information et atteindre un équilibre propice au bien-être. Choisir un contenu de qualité, diversifier les sources en apport informationnel, choisir des filières d’information responsables, privilégier les producteurs s’inscrivant dans le temps long du traitement de l’information… sont autant d’analogies agroalimentaires qui doivent nous inviter à consommer moins mais mieux. Ce rapport renouvelé à l’information serait une riposte à l’ère des guerres psychologiques, informationnelles et cognitives. D’ailleurs, dans le livret récemment distribué à sa population par l’agence suédoise de gestion des contingences civiles afin de la préparer à une éventuelle guerre, il est recommandé de limiter son exposition à l’actualité, trouver un niveau qui convient et passer plus de temps à des activités qui procurent du bien-être. Une éducation généralisée au cycle du renseignement permettrait de passer d’une population surinformée à des citoyens bien renseignés. En passant de la perception à la perspective, chacun retrouverait un avantage informationnel au bénéfice d’une meilleure compréhension du monde qui l’entoure. Au pays des Lumières, la devise kantienne « Aude Sapere » - Ose penser - sonnerait comme un renouveau intellectuel et culturel faisant de l’entendement humain la solution vers une approche raisonnée et plus éclairée de l’information.