Publié dans Les Echos - le mercredi 6 mai 2020.
Dans une tribune, Sébastien Rouichi-Gallot fait l'analyse de la communication du pouvoir chinois pendant la crise du Coronavirus Covid-19. Est-elle la préparation du début du siècle asiatique ou bien signe-t-elle plutôt la fin de la décennie chinoise ? Le débat est ouvert.
Certains évoquent un monde d’après, celui de l’après-pandémie, comme le début de la démondialisation. Mais cela ne serait-il plutôt la fin de la globalisation occidentale, et surtout américaine, au profit d’une globalisation à l’influence asiatique, et plus particulièrement chinoise ?
Début avril, le cabinet de conseil en stratégie McKinsey anticipait que l’Asie, qui a vécu la première la pandémie et est parvenue à la maîtriser, serait désormais légitime pour indiquer le chemin au reste du monde. La pandémie, venue de Chine, lui aurait donc offert un certain dessus sur l’Occident. La coopération entre les pays du continent asiatique aurait permis de limiter les contaminations et la récession de l’économie sur ces territoires.
Mais que serait à l'heure actuelle l’économie chinoise sans l’Occident ? La Chine n’a pas repris le dessus sur la pandémie seule. De nombreux pays occidentaux, dont la France, avec également des entreprises mobilisées comme le groupe LVMH (propriétaire des "Echos"), sont en effet venus aux secours des services de santé chinois. Le Parti communiste chinois a alors exigé de ces pays et entreprises mécènes qu’aucune communication sur le sujet ne soit faite. Ainsi, la Chine a été dans un premier temps présentée comme avoir su maîtriser la pandémie seule, et avoir été à même d’hospitaliser dignement ses malades.
Diplomatie du masque
Par ailleurs, certains évoquent une "diplomatie du masque", quand la Chine envoie des quantités phénoménales de matériels de soin aux pays demandeurs : sur les étiquettes est inscrit "Aide chinoise pour un avenir partagé". Communication auprès des pays receveurs, mais plus probablement surtout destinée à ses propres citoyens ; largement relayée sur son territoire.
Ainsi, au quotidien, une partie du journal télévisé de la chaîne d’information centrale (CCTV-1) est dédiée aux expéditions de colis aux quatre coins du globe.
Mais les Chinois n’ont pas oublié les manquements graves du régime dans les débuts de la pandémie avec l’étouffement médiatique et les arrestations des lanceurs d’alerte, médecins et journalistes, comme le souligne par ailleurs Reporters sans frontières.
Là où les chiffres officiels chinois communiqués sur les morts du nouveau coronavirus commençaient à être fortement remis en question dans le monde, les habitants de Wuhan protestaient déjà contre ces derniers. A noter que ceux-là ont été sérieusement estimés à la hausse à la fin avril : de 3.000 à 4.000. Les services funéraires étant vraisemblablement infiniment plus chargés que ce que ce chiffre indique, le peuple chinois n’est pas dupe et les décomptes et statistiques amateurs se multiplient.
Guerre de "l’opinion publique"
Pékin érige sa gestion de la crise en modèle planétaire. À cela s’ajoute une communication agressive de la diplomatie chinoise dans le monde, et particulièrement en Occident avec des diplomates surnommés les "loups combattants". Ces derniers ont mêlé fausses informations, dérapages outranciers et accusations graves envers la gestion de la crise par de nombreux pays, dont la France.
Dans un entretien au "Financial Times", le président de la République Emmanuel Macron expliquait : "Vous ne pouvez pas comparer la situation de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie avec celle de la Chine ou de la Russie, c'est une évidence. La transparence, l'immédiateté de cette information n'a juste rien à voir. [...] Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu'on ne sait pas”.
Cette dernière phrase aura fait le tour du monde. La Chancelière allemande, de coutume davantage sur la réserve, a tout de même signifié que "plus la Chine sera transparente sur l’origine du virus, plus cela permettra à chacun dans le monde d’en tirer les leçons". Selon l’Institut d’études Pew, 66 % des Américains voient désormais la Chine de manière défavorable, soit 20 % de plus qu’en 2017.
Même l’Afrique, peu touchée à l’heure actuelle, qui a cette dernière décennie noué de nombreux et importants échanges économiques avec la Chine, ne suit plus, là où Xi Jinping communiquait déjà sur le futur sauvetage du continent à elle-seule.
Début du siècle asiatique ou bien fin de la décennie chinoise ?
Tournant majeur dans les relations sino-occidentales, les cartes sont rebattues : début du siècle asiatique ou bien fin de la décennie chinoise ? L’Union européenne a indiqué qu’elle contrôlerait désormais au plus près les investissements chinois dans nos territoires, quand la France a affirmé vouloir massivement réindustrialiser le pays pour davantage de souveraineté.
Shi Zhan, directeur du Centre de politique mondiale à l’université des affaires étrangères de Chine à Pékin, d’où sont issus un grand nombre de diplomates chinois, observe : "Les Occidentaux vont relocaliser les industries nécessaires à leur sécurité dans leur propre pays et mettre en place un système de production indépendant de la Chine. Or, en termes d’innovation, nous restons en retard. Il y a un risque que nous décrochions de l’Occident".
Malgré des circonstances dramatiques, la Chine aurait pu sortir grandie de la pandémie. Mais sa communication propagandaire et outrancière la desservira probablement pour un temps certain, le message martelé trop fort ayant décrédibilisé le messager. Reste maintenant à voir si la future communication post-pandémie saura rattraper la délicate position dans laquelle la Chine s'est isolée.